Isidore Court'Orelle

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, naissait ISIDORE.

On ne saura jamais véritablement la date exacte de sa naissance, mais ses descendants disaient qu'il était né près du moulin. C'était un gars costaud, serviable, prêt à rendre service dès qu'il en avait l’occasion. Tout petit déjà, il accompagnait son père et son grand-père dans les carrières. Il faisait partie d’une lignée de plusieurs générations de carriers. Surtout, il écoutait bien les recommandations du paternel, pour qu'il ne lui arrive pas la même mésaventure qu'à son lointain cousin qu'on appelait “le perdu de Lezennes”. Descendu très jeune dans le sous-sol Lezennois, il apprit vite toutes les ficelles du métier de carrier, que ce soit pour extraire la pierre blanche, bouchonner une catiche ou tailler un moellon. Tout cela n’avait plus de secret pour lui et les trente-neuf carriers de notre commune.

En février 1781, un ouragan traverse la région lilloise : malgré son jeune âge, il fut l’un des premiers à venir réparer le clocher de l’église qui avait souffert de la tornade. En 1792, lors du siège de Lille, les Autrichiens cantonnent à Fives et dans notre commune depuis le 23 septembre. Le 28, Albert de Saxe demande la reddition des Lillois. Devant la réponse négative de la municipalité, le bombardement commence et durera une semaine. Le 6 octobre les Autrichiens décident de lever le siège, car des troupes viennent renforcer les défenses lilloises. C’est à ce moment que commencent les ennuis pour nos quarante carriers. Les soldats autrichiens. après avoir pillé les habitations, emportèrent tous les outils servant à extraire les fameux " blancs caillos ". Curieuse idée ?

Il n’en est rien : en emportant les outils de tous les carriers, ils retardaient la reconstruction de Lille car le bombardement avait endommagé plus de 2000 maisons, dont un bon quart complètement détruit. C’est ainsi qu'ISIDORE, qui était aimé de tous et l’un des plus érudits, envoya un courrier aux citoyens présidents et administrateurs composant le directoire de Lille pour plaider la cause des carriers, car cela faisait cinq semaines qu’ils ne travaillaient plus faute d’outils, ils ne pouvaient plus tirer de pierre blanche, donc ils n’avaient plus de ressources pour vivre et ne pouvaient plus fournir les matériaux nécessaires à la reconstruction de la ville de Lille.

En 1793, une petite escarmouche faillit lever en masse des patriotes qui avaient cru à un soulèvement du parti royaliste. L’on dit que c’est lors de cette échauffourée qu'ISIDORE perdra un morceau de son oreille ; d’autres vous diront que cela s’est passé dans le sous-sol de notre village lorsqu'un bloc se détacha subitement. On ne le saura jamais. Il portera le sobriquet de COURT’ORELLE, jusqu'à la fin de sa vie. En 1815, a-t-il combattu lors de la bataille de Waterloo ? Seules les inscriptions dans les carrières le supposent. Vers 1860, un Belge du nom de Dumoulin vint lui montrer comment cultiver la barbe de capucin dans les carrières délaissées de toute exploitation. Très vite, on vient de Loos, de Thumesnil, de Ronchin pour connaître le savoir-faire d’ISIDORE ; lui seul connaissant le moyen de cultiver cette salade, dès les premiers froids. Cette salade étrange, différente des salades vertes, sera vendue en bottelettes, elle se raréfie de nos jours.

Thierry Leignel (nov. 1998)